Et si on s’était trompés sur l’addiction ?
- Laurence Sanchez

- 2 sept.
- 3 min de lecture

Et si on s’était trompés sur l’addiction ?
Ce que les rats, les guerres et nos solitudes ont à nous apprendre.
L’histoire qu’on nous raconte depuis un siècle
Depuis plus de cent ans, on nous répète la même chose : ce sont les substances qui rendent dépendants.
Elles seraient des pièges chimiques. Une fois dans le corps, elles nous posséderaient.
C’est ce récit qu’on nous a transmis.
Mais est-ce vraiment la vérité ?
Un rat seul devient accro. Un rat entouré, non.
Dans les années 1970, le psychologue canadien Bruce Alexander a remis en question l’expérience classique du « rat dans sa cage ».
Seul, enfermé avec deux bouteilles - l’une d’eau claire, l’autre d’eau mélangée à de la cocaïne ou de l’héroïne - le rat choisit presque toujours l’eau droguée. Jusqu’à s’y perdre.
Mais qu’arrive-t-il si on lui propose autre chose ?
Alexander a construit ce qu’il a appelé Rat Park : une grande cage avec de la nourriture, des jeux, des tunnels… et surtout, d’autres rats.
Résultat : les animaux goûtent parfois à l’eau droguée, mais ils ne s’y accrochent pas.
Aucun ne devient dépendant. Aucun ne meurt.
La conclusion est vertigineuse : ce n’est pas la drogue qui crée l’addiction. C’est l’isolement.
Une héroïne pure… sans dépendance
Cette intuition est confirmée par l’expérience humaine.
Pendant la guerre du Vietnam, près de 20 % des soldats américains consommaient de l’héroïne. On craignait un retour massif d’“accros” après le conflit.
Mais en réalité, une fois rentrés dans un environnement stable et entouré, 95 % d’entre eux ont cessé spontanément.
Le même phénomène apparaît à l’hôpital : certains patients reçoivent de la diamorphine (de l’héroïne médicale, bien plus pure que celle vendue dans la rue) pendant des semaines, voire des mois.
Et pourtant, ils ne deviennent pas dépendants.
Pourquoi ? Parce qu’ils ne sont pas seuls. Parce qu’en sortant, quelqu’un les attend. Un lien les attend.
« Pourquoi cette douleur ? » – Gabor Maté
Le médecin canadien Gabor Maté va plus loin :
« La vraie question n’est pas : pourquoi cette addiction ? Mais : pourquoi cette douleur ? »
Derrière chaque addiction, il y a une tentative de survivre à une faille, un traumatisme, une solitude.
Un endroit en nous qui n’a pas été accueilli.
Un vide qu’on essaie d’anesthésier.
Le contraire de l’addiction, ce n’est pas l’abstinence
Le chercheur Peter Cohen propose même qu’on cesse de parler d’« addiction » pour parler de liaison.
Nous nous lions à ce que nous trouvons à portée de main : une seringue, un écran, une bouteille, un jeu de hasard…
Quand nous ne pouvons pas nous lier aux autres. Quand nous ne nous sentons pas dignes d’amour.
Alors peut-être que le vrai travail n’est pas seulement d’ “ arrêter ”. Mais de reconstruire du lien : à soi, aux autres, au monde.
Quand un pays ose changer de regard
En 2000, le Portugal a fait un choix radical :
arrêter la guerre contre la drogue, et investir dans la réinsertion et le lien social.
• Fin des arrestations.
• Soutien au logement et aux emplois.
• Création de lieux de soin et d’écoute.
Certains anciens consommateurs ont même monté leur propre entreprise, devenant un groupe solidaire, responsable les uns des autres.
Résultat :
👉 L’usage de drogue par injection a baissé de 50 %.
👉Les décès liés à la drogue ont chuté.
👉 Les liens se sont reconstruits.
Et nous ?
Nous vivons dans des sociétés qui valorisent la performance, l’individualisme, l’image.
Des sociétés où il est facile de se sentir seul·e, même entouré·e.
La solitude n’est pas seulement un mal-être individuel. C’est aussi une construction sociale.
Et l’addiction, souvent, n’est rien d’autre qu’une tentative désespérée de retrouver un lien.
Une invitation
🌿 Prenez un instant cette semaine pour vous demander :
Quels sont les liens qui vous nourrissent vraiment ?
Les lieux, les gestes, les personnes… Ce qui vous aide à rester vivant·e, relié·e, en sécurité.
Et si vous accompagnez des personnes en souffrance :
Quelle place faisons-nous à leur environnement, à leurs liens, à leur isolement ? Parfois, un regard sincère, une main tendue, un espace sans jugement peuvent déjà être un commencement.
Conclusion
Le contraire de l’addiction n’est pas l’abstinence. C’est la connexion.
Et peut-être que chaque fois que nous recréons du lien - avec nous-mêmes, avec l’autre, avec le vivant - nous faisons déjà acte de guérison.
La liberté, ce n’est pas un objectif, c’est une pratique.
Laurence Sanchez - Thérapeute & Clairvoyante



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